La Bible traduite en Chinois par un infirme

Nous relevons le nom de cent trente-huit missionnaires, dont onze dames ou demoiselles, qui se sont occupés de la traduction de la Bible dans les différentes langues de la Chine. Parmi eux, il y en a un qui mérite une mention spéciale, c’est M. Schereschewsky.

 

Né en 1831, en Lituanie, de parents israélites, Schereschewsky fut élevé dans toute la sagesse des juifs, et fit ses études à l’Université de Breslau[1]. La lecture du Nouveau Testament traduit en hébreu le convainquit de la vérité de l’Évangile. Il se rendit aux États-Unis, y fut baptisé, y fit des études théologiques, et en 1859 partit missionnaire à Shanghai, en Chine. Très doué, connaissant l’hébreu mieux que toute autre langue, il fut appelé à s’occuper de la traduction de la Bible. En collaboration avec quatre collègues, il traduisit le Nouveau Testament en mandarin. Ensuite, à partir de 1865, il traduisit seul l’Ancien Testament dans cette même langue. Cette traduction remarquable parut en 1875 et eut plusieurs éditions, dont la dernière, révisée, est celle de 1899.

 

Il fit plus encore. Il traduisit la Bible entière en wenli[2] simplifié. Le Nouveau Testament en 1898, la Bible entière en 1902. Il révisa ensuite ses deux traductions, les corrigeant, les améliorant pour en faire des Bibles à parallèles.

 

En 1865, six ans après son arrivée en Chine, il fut frappé d’une paralysie qui alla s’aggravant jusqu’à ce qu’elle ne lui laissât plus que l’usage du doigt du milieu de chaque main. C’est avec ces deux doigts qu’il rédigea, au moyen d’une machine à écrire, ses deux traductions. Un secrétaire les recopiait en caractères chinois. Il faut noter qu’il accomplit presque tout ce labeur hors de Chine. Quelques années après être tombé malade, il retourna en Amérique et y vécut vingt ans, après quoi il se rendit au Japon. Il mourut à Kyoto[3] en 1906, après avoir passé les vingt-cinq dernières années de sa vie immobilisé dans un fauteuil.

 

Le mal dont il fut frappé, tout en étant une rude épreuve, lui permit de servir pleinement son Dieu : il put consacrer tout son temps à la traduction de la Bible, et exerça certainement, comme traducteur. Plus que beaucoup d’autres, il put dire : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort ».

 

La Bible, Parole de Dieu, deux fois traduite, en deux formes différentes d’une même langue, pourvues de parallèles, fut ainsi donnée à près d’un quart de la population mondiale… Voici le bilan de cette vie d’infirme. Peu d’hommes, assurément, auront exercé sur l’humanité une action plus étendue et plus profonde que ce fils d’Israël, amené à Jésus Christ par la lecture d’un Nouveau Testament hébreu.

 

Il a accompli ce que l’apôtre Paul a écrit : « courons pour remporter la couronne » et « persévérons »…

 

Une difficulté de la traduction en chinois de la Bible, qui n’a pas encore été entièrement surmontée, est venue s’ajouter à toutes celles qui sont inhérentes à l’étude même de la langue, la difficulté de trouver un terme chinois qui rende convenablement le nom de Dieu. C’est là un cas extraordinaire, unique, dans l’histoire des traductions de la Bible, et qui dépasse la compréhension de ceux qui ne sont pas initiés.

 

Cette difficulté n’est pas nouvelle. La controverse à laquelle elle a donné lieu dure depuis plus de deux cents ans. Au dix-septième et au dix-huitième siècle, plusieurs papes intervinrent par des décrets contradictoires. Les missionnaires protestants, à partir de 1850, ne se trouvèrent pas moins divisés sur cette question que les missionnaires catholiques. Voici un trait qui montre combien la controverse a été ardente et compliquée. En février 1901, un missionnaire bien connu commença, sur cette question, dans le Chinese Recorder, une série d’articles mensuels qui se succédèrent jusqu’au mois d’août 1902. Il avait, pendant vingt ans, réuni et catalogué plus de 13.000 passages de la littérature chinoise pour établir son opinion. Et quand il termina ses articles, il estimait n’avoir pas épuisé le sujet! Cette difficulté n’est pas spéciale au wenli et au mandarin. Elle se reproduit dans toutes les langues provinciales.

 

En fait, le chinois n’a pas de mot pour désigner la divinité, pas de mot qui réponde à l’Elohim hébreu. Le mot propre manquant, trois termes se sont présentés:

 

Schang-Ti (maître suprême), Shen (esprit), et Tien-Tchéou (Seigneur du ciel). La majorité des missionnaires anglais ont été pour le premier de ces termes, et la majorité des missionnaires américains, pour le second. Le troisième, depuis le décret papal de 1704, a été adopté par les catholiques. La raison pour laquelle la controverse sur ce sujet a été si passionnée, c’est que Shang-Ti est le nom donné à certains dieux chinois et aux empereurs déifiés. Les adversaires de ce terme ne voulaient pas donner au vrai Dieu le nom d’une idole, afin de ne pas risquer de l’abaisser au niveau des images de bois qu’on trouve dans les temples païens des villes chinoises. Les partisans de Shang-Ti répondaient que ce terme appartenait à l’époque primitive, monothéiste, antérieure au bouddhisme et au taoïsme, qu’il désignait le maître suprême du ciel et de la terre, un dieu dont les attributs rappelaient ceux du Jéhovah de l’Ancien Testament, et qu’on pouvait l’adopter comme les apôtres avaient adopté le mot Théos, qui était loin de désigner le vrai Dieu des chrétiens.

 

L’entente ne pouvant se faire, ni parmi les traducteurs, ni parmi les missionnaires, il fallut imprimer des éditions diverses des mêmes traductions, afin que personne ne fût choqué en trouvant dans sa Bible le nom qu’il désapprouvait.

 

Actuellement la controverse touche à sa fin. Les missionnaires se sont mis d’accord pour adopter, dans la version en mandarin, Shen, comme terme générique pour Dieu, et Shang-Ti pour désigner le vrai Dieu.


Notes :

[1] Wrocław (Breslau en allemand) est la quatrième ville de Pologne.

[2] Le wenli (ce mot signifie littéraire, classique) n’est pas une langue parlée; c’est une langue écrite, susceptible de prononciations fort différentes. Deux Chinois, l’un de Canton, l’autre de Ning-po, lisant à haute voix la même page en wenli ne se comprendront pas l’un l’autre, parce qu’ils la liront, l’un dans la langue de Canton, l’autre dans la langue de Ning-po. C’est un peu comme nos chiffres arabes, qui, pour les yeux, sont les mêmes dans toutes les langues européennes, mais qui pour l’oreille s’expriment de manières très différentes et qui parfois n’ont aucun rapport entre elles. Quinze, fünfzehn, fifteen, pymp theg, quindichi, décapenté, piatnadziat, voilà comment on dit 15 en français, en allemand, en anglais, en gallois, en italien, en grec, en russe. C’est la même chose, et ce n’est pas la même chose. Cette langue littéraire a trois formes : le wenli proprement dit, le wenli ancien, ou ku-wen, et le wenli simplifié, ou siao-wen. C’est le wenli simplifié qui est la langue officielle, la langue de tous les décrets du gouvernement, la langue des affiches. En dehors du wenli et du mandarin, répandus le premier dans la totalité, le second dans les trois quarts de l’empire chinois, il y a neuf langues provinciales qui ne sont pas des dialectes, mais des langues tout à fait distinctes, et dont quelques-unes sont parlées par des millions d’hommes.

[3] Kyoto (littéralement, ville capitale) fut de 794 à 1868 la capitale du Japon.

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