Les juifs antiques et la Trinité

Une question qui revient assez souvent dans la critique de la Trinité est la suivante : « Pourquoi les juifs qui sont si scrupuleux et si proches du texte biblique n’ont-ils jamais vu la Trinité là où les chrétiens la voit ? » Et la suite à cette question vient ensuite comme une sorte de conclusion : les chrétiens ont inventé cette doctrine, soit en la volant aux païens, soit pour expliquer la façon dont Jésus s’est révélé.

Il est vrai que la doctrine de la Trinité a été précisée et précisément définie uniquement par les chrétiens car ils ont reçu une révélation plus claire par l’Incarnation du Fils. Mais les juifs des premiers siècles de l’ère chrétienne (qui mirent par écrit de très nombreuses réflexions, méditations, analyses… bibliques) s’opposaient-ils à cette vision de Dieu ?

Dans le Talmud de Babylone[1], en commentant Exode 24:1, le commentateur  signale que Dieu dit « monte vers l’Éternel » et non « monte vers moi » ! En fait il parle du Métatrôn[2] et non de Lui-même. Ainsi, le Talmud de Babylone attribue à ce Messager[3] le nom YHWH, le Nom que Dieu a révélé à Moïse comme étant Son Nom propre. Par ailleurs quand Jacob envoie des messagers à son frères Esaü (Gn 32:3), le mot hébreu utilisé est le pluriel de Klm Malak, traduit par « anges ». Or, s’il y a une différence entre l’ange de l’Eternel, le Métatrôn, et les anges, c’est pour souligner deux choses :

  • Il y a bien une distinction ette entre le Métatrôn et les anges ;
  • La distinction entre Dieu et son Ange s’estompe. (Gn 16:7-9, 11; 22:11-12, 15-18; Ex 3:2, 4; Jg 6:11-23).

Lors de l’Exode hors d’Egypte, c’est tantôt Dieu (Exod. 13:21), tantôt son Ange (14:9) qui mène le camp des Israélites.

De même, le Targum Pseudo-Jonathan[4] juif parle d’une certaine entité appelée Memra (ou Parole) de Dieu qui est une personne distincte de Dieu, mais qui partage les attributs de Dieu. Ainsi le Targum, en expliquant de nombreux passages de la Bible qui décrivent une action de Dieu, dit que c’est en fait la Parole de Dieu qui est à l’œuvre. Le tableau suivant, fournit quelques exemples :

Référence biblique Traduction biblique Targum Pseudo-Jonathan
Genèse 1:27 Dieu créa l’homme. La Parole de Dieu créa l’homme.
Genèse 6:6-7 Et Dieu regretta d’avoir créé l’homme sur la terre. Et par sa Parole, Dieu regretta d’avoir créé l’homme.
Genèse 9:12 Et Dieu dit : « Voici le signe de l’alliance que je place entre vous et moi. » Et Dieu dit : « Voici le signe de l’alliance que je place entre vous et ma Parole. »
Genèse 15:6 Et Abraham cru en Dieu. Et Abraham cru en la Parole de Dieu.
Genèse 20:3 Alors Dieu vint vers Abimélek. Alors la Parole en face de Dieu vint vers Abimélek
Genèse 31:49 Que l’Éternel veille sur toi et sur moi ! Que la Parole de l’Éternel veille sur toi et sur moi !
Exode 14:31 Et ils crurent en Dieu Et ils crurent en la Parole de Dieu.
Exode 20:1-2 Alors Dieu prononça toutes ces paroles en disant : Je suis l’Éternel, ton Dieu… (les 10 commandements) Alors la Parole de Dieu prononça toutes ces paroles en disant : Je suis l’Éternel, ton Dieu…
Exode 25:22 Je te rencontrerai du haut du propitiatoire… Je mettrai ma Parole en haut du propitiatoire…
Lévitique 26:9 Je me tournerai vers vous… Et je me tournerai par ma Parole vers vous…
Nombres 10:35 Lève-toi , Éternel ! Lève-toi, Parole de l’Éternel !
Nombres 10:36 Reviens, Éternel ! Reviens, Parole de l’Éternel !
Nombres 11:23 La main de l’Éternel serait-elle trop courte ? La Parole de l’Éternel serait-elle retenue ?
Nombres 14:35 Moi, l’Éternel, j’ai parlé Moi, L’Éternel, j’ai décrété par ma Parole
Deutéronome 1:30 L’Éternel, votre Dieu, qui marche devant vous, combattra Lui-même pour vous. L’Éternel, votre Dieu, marche devant vous et sa Parole combattra pour vous.
Deutéronome 18:19 C’est Moi qui lui en demanderai compte. Ma Parole lui en demandera compte.
Deutéronome 31:3 L’Éternel, ton Dieu, passera Lui-même devant toi. L’Eternel, ton Dieu, sa Parole, passera lui-même devant toi.
Josué 1:5 Comme j’étais avec Moïse, je serai avec toi. Comme ma Parole venait en aide à Moïse, ma Parole te viendra en aide.
Juges 11:10 L’Éternel est témoin entre nous… La Parole de l’Éternel est témoin entre nous…
Ésaie 45:17 Israel sera sauvée par l’Éternel. Israel sera sauvée par la Parole de l’Eternel.

Ainsi, le Targum affirme que la Memra de Dieu crée l’homme, révèle les 10 commandements, sauve Israël, assiste Moïse… lui attribuant ainsi des actions divines tout en la distinguant de YHWH. Il est clair aussi que la Parole de Dieu est une personne pour les Juifs antiques. L’Ange (ou la Parole) de Dieu sont ainsi, dans le Targum, ce qui permet d’être en relation avec Dieu.

Mais le Targum connait aussi une troisième entité, appelée Saint-Esprit, intercédant entre l’Éternel et Israël. Dans Lamentations Rabba[5] rapporte[6] qu’après que l’empereur romain Hadrien ait exécuté deux Juifs, le Saint-Esprit se mit à crier « Tu as vu, Ô Éternel, le mal qui m’est fait. Prends en main ma cause ! Tu vois leur vengeance, leurs complots contre moi ». Nous avons ici un exemple du Saint-Esprit intercédant. Selon Lévitique Rabba[7], le Saint-Esprit est un conseiller-avocat qui parle de la part du Seigneur à Israël et de la part d’Israël au Seigneur… Dans toutes ces citations, qui peuvent être facilement multipliées[8], il est clair que le Saint-Esprit est considéré comme un personne, un « qui » et non un « quoi », avec une dimension personnelle et non simplement un pouvoir impersonnel. Il est considéré comme Dieu Lui-même et toutefois comme une entité distincte de Dieu qui peut intercéder entre Dieu et l’homme.

Philon d’Alexandrie[9] dit aussi, dans ses écrits, qu’il existe trois Figures Divines dans l’Ancien Testament qui font ce que Dieu seul fait. Il parle premièrement, comme le Targum, de la Parole, « la cause de toutes choses, par qui tout a été créé. »[10]

 Philon d’Alexandrie appelle la Parole de Dieu, Premier-né[11], Gouverneur et Administrateur de toutes choses[12], Grand-Prêtre[13], Fils de Dieu de qui Adam a été fait l’image[14]. Il suggère aussi que le Messie, dont il est question en Zacharie, ne serait pas un simple homme, mais une personne divine[15]. Il fait donc un lien entre les prophéties de Zacharie sur le Messie et la figure de l’Image, du Premier-né, du Fils, c’est-à-dire de la Parole.

Philon affirmait par ailleurs que Dieu apparait à son peuple sous la forme de l’Ange de l’Éternel dans des visions. Pour lui, l’Ange était une manifestation de Dieu apparent sous cette forme[16]. Philon affirme que le logos (la Parole) était le partenaire de Dieu dans la création. Ainsi, il appelait le logos, « Le Commencement », « le Seigneur des anges », et plus significativement, « le Nom de Dieu ». Puisqu’il voyait le logos comme une émanation de Dieu, il pouvait en parler comme de sa descendance, ou comme le premier-né de Dieu. Il était considéré comme immortel, un homme céleste, vrai père de l’humanité.

Des rabbins du second siècle rapportent des croyances similaires venant de la période du Second Temple et de la période Tannaïtique.

De même, pour Philon, le Saint-Esprit est Divin[17], il viendra demeurer dans des personnes pour les aider à faire la volonté de Dieu[18], il sera répandu sur des personnes[19], il conduira les personnes à chercher Dieu et à l’adorer[20]. En finalité, il affirme que le Saint Esprit, « procédant de l’Être bienheureux et béni, fut envoyé pour demeurer sur terre, pour le bien de notre race »[21].

Enfin, Philon rapporte, au sujet de Genèse 18:2 où l’Éternel apparait à Abraham et celui-ci en levant les yeux voit 3 hommes, une tradition juive disant que ces trois sont Dieu. Il dit : « Il est raisonnable que l’un soit trois et que les trois soient un. »[22]

 Des spécialistes modernes Juifs comme Daniel Boyarin et Alan F. Segal ont prouvé dans leurs livres que les Juifs pré-Chrétiens et non-Chrétiens au début de l’ère chrétienne affirmaient que le Dieu unique était constitué de multiples personnes.

Boyarin conclue au sujet des anciens Juifs : « (Ils) croyaient que Dieu avait un Adjoint ou Emissaire ou même un Fils divin, exalté au-dessus des anges, qui agissait comme intermédiaire entre Dieu et le monde dans la création, la révélation et la rédemption. »[23]

Les recherches d’Alan F. Segal, un Juif non-Chrétien, se résument ainsi :

  • Les anciens Israélites connaissaient deux YHWH – l’un invisible, un esprit, l’autre se rendant visible, souvent sous forme humaine. Parfois les deux YHWH apparaissent ensemble dans le texte, parfois ils sont distincts, parfois non.
  • Ils ne voyaient pas cela comme une violation du monothéisme car les deux étaient YHWH. Il n’y avait donc pas de second dieu distinct gérant le cosmos. Durant la période du Second Temple, les théologiens et écrivains juifs ont spéculé sur l’identité du second YHWH.
  • Ces spéculations n’étaient pas vues comme non-orthodoxes. Toutefois, les choses changèrent lorsque certains Juifs, les premiers Chrétiens, ont fait la connexion entre Jésus et ce concept juif orthodoxe. Cela explique pourquoi ces Juifs, les premiers convertis à suivre Jésus le Christ, pouvaient adorer simultanément le Dieu d’Israël et Jésus tout en refusant de reconnaître un autre dieu. Jésus était le second YHWH, le YHWH incarné.

En réponse à cela, comme le montre Segal, le judaïsme a rejeté comme hérésie l’idée des deux pouvoirs (célestes) au second siècle après Jésus-Christ.

 En appelant le Messie YHWH, ils ne faisaient en fait que reprendre ce que les prophètes eux-mêmes avaient annoncé : « Je susciterai à David un germe juste; il règnera en roi et prospérera, il pratiquera le droit et la justice dans le pays. En son temps, Juda sera sauvé, Israël aura la sécurité dans sa demeure. Et voici le nom dont on l’appellera : YHWH notre Justice. » (Jr 23 : 5et 6)

Ce passage de Jérémie 23:6 n’est pas appliqué au Messie par les Chrétiens uniquement mais ce sont les Juifs eux-mêmes qui appliquaient ce verset au Messie : « Dieu appellera le Roi-Messie par son Nom, comme il est dit « Voici le nom dont on l’appellera : Yahvé, notre Justice » » (Midrash Rabba sur les Psaumes, chapitre 21)

Et encore, dans le Zohar[24] : « Nous le savons de Booz qui dit à Ruth « YHVH est vivant ! Reste couchée jusqu’au matin. » Grâce à cette adjuration, il vainquit sa passion, et comme il préserva l’alliance, il mérita d’être le géniteur de rois plus puissants que tous les autres et même du Roi-Messie, qui est appelé par le nom du Saint, béni soit-Il. »[25]

 Et encore : « Quel est le nom du Roi-Messie ? Rabbi Abba Bar-Kahana a dit : « YHWH est son Nom, ainsi qu’il est écrit : voici le Nom dont on l’appellera, YHWH, notre Justice. » »[26]

Cela est confirmé par le Talmud : « Concernant le Messie, voici le nom dont il sera appelé : YHWH notre Justice. »[27]

 Ainsi que par les Pirqei Mashiah : « Et le Messie fils de David s’assiéra dans la Yéchiva d’en haut, par le Saint, béni soit-Il, et il sera appelé YHWH, comme est d’habitude appelé son Possesseur (le possesseur du Nom), ainsi qu’il est écrit, « et voici le Nom dont il sera appelé : YHWH notre Justice » »[28].

Dans la tradition Talmudique, le Messie a plusieurs noms. L’un de ces noms est Yinon (Engendré). En commentant ce nom, le Samuel Eidels[29] dit : « Le sens est que, du temps du Messie, le Tétragramme (YHWH), Nom du Saint, béni soit-Il, sera fréquent dans la bouche de tout le monde. Car le Messie portera ce Nom. Ainsi qu’il est enseigné « Le Messie sera appelé du Nom du Saint, béni soit-Il, selon qu’il est écrit : et voici le nom dont on l’appellera : YHWH, notre Justice. » »[30]

Dans le Midrash des Psaumes, il est écrit que Dieu appelle le Messie de Son Nom, et quel est Son Nom ? La réponse donnée est : « YHWH, Homme de guerre » (Ex 15:3)

 

Le nom d’un individu fait référence à son identité-même, sa personne, son être. Dire que le Nom de Dieu est en quelqu’un ou que quelqu’un porte le Nom, c’est dire qu’il est Dieu.

Ce fait est entièrement reconnu dans le domaine académique. Par exemple, Ephraïm E. Urbach[31] dans son livre les sages d’Israël, en parlant des souffrances du Messie selon Esaie 53 dans la littérature juive rabbinique, analyse les textes juifs cités par Justin Martyr[32]. Il note au sujet des affirmations de Justin : « Comme nous l’avons vu, il n’y a rien d’étrange dans son assertion, pas même dans le témoignage que le Messie sera appelé Adonaï (substitut du tétragramme) et recevra le qualitatif de Saint (qui est un nom de Dieu). (…) Et voici le nom dont il sera appelé : YHWH, notre Justice. »[33]

 Ainsi, il est reconnu que les textes Juifs attribuaient le Nom, et par cela l’identité de Dieu, au Messie. Mais, là encore, laissons la parole à un rabbin très apprécié des prosélytes musulmans, Moïse Maïmonide[34] : « Dans les Pirqei de Rabbi Eli’ézer, au chapitre 3, on lit : Avant la création du monde, il n’y avait que le Très-Saint et son Nom seul. Remarque bien comme il est dit clairement que ses noms dérivés ne sont tous nés qu’après la naissance du monde. Et cela est vrai, car ce sont tous des noms qui ont été établis par rapport aux actions de Dieu et que l’on trouve dans l’univers (Note : l’auteur fait ici référence aux noms tels que El, Elohim, El-Shaddaï, etc.). Mais si l’on considère son essence, dénuée et dépouillée de toute action, il n’a absolument aucun nom dérivé mais un seul nom improvisé pour indiquer son essence. Nous ne possédons pas de chem (nom) qui ne soit pas dérivé, si ce n’est celui-là, c’est-à-dire, Yod Hé Vav Hé (YHWH). Il est le Nom explicite (chem ha-meforach) absolu. »[35]

Maïmonide dit donc que le Nom YHWH est le seul qui fait explicitement référence à l’essence de Dieu, son Être-même, sa nature. Et ce nom est celui du Messie. Tous les autres noms ne sont que relatifs ou dérivés, c’est-à-dire lié à une action divine. Par conséquent, la manière la plus explicite de dire que le Messie est Dieu c’est de dire que son nom est YHWH. Même si l’on dit « le Messie est Dieu (Elohim) », cela est un nom dérivé, moins explicite que si l’on dit « le Messie est YHWH ». Maïmonide rajoute : « En somme, ce qui fait que ce Nom a une si haute importance et qu’on se garde de le prononcer, c’est qu’il indique l’Essence-même de Dieu de sorte qu’aucun être créé ne participe à ce qu’il indique. Comme l’ont dit les docteurs au sujet de ce Nom : « Mon Nom, qui m’est particulier ». »[36]

Si aucun être créé ne participe à ce Nom et que le Messie le porte, permettez-nous de conclure que le Messie n’est pas créé. Encore une fois, le tétragramme désigne exclusivement l’essence divine, les Juifs l’ont bien compris. Et les anciens textes Juifs donnent ce Nom au Messie, en accord avec le témoignage des prophètes.

Mais confirmons encore Maïmonide par un autre rabbin, David Kimhi[37] dans une analyse d’Esaie 42:8 quand il est dit « Je suis YHWH, c’est là mon Nom et je ne donnerai pas ma gloire à un autre ni mon honneur aux idoles » : « C’est là mon Nom », qui est approprié à Moi seul, non pas comme le nom des images gravées car, bien que leurs adorateurs les associèrent avec Moi dans les applications du nom Elohim, ils ne peuvent pas les associer avec Moi dans ce Nom. Car Je suis YHWH au-dessus de tout. »[38]

 Ainsi, pour ce rabbin, des idoles ont pu être associée aux noms « dérivés » comme Elohim mais personne, si ce n’est Dieu, ne peut s’approprier le Nom YHWH. Ce Nom est approprié à Dieu seul, celui qui porte ce Nom est Dieu. Il poursuit au sujet du titre « Dieu des armées » : « Dieu des armées » exprime ce degré dans lequel se trouvent les anges et les orbes avec leurs étoiles, appelés El ou Elohim et par lesquels Dieu est associé avec eux. Mais, dans ce Nom (YHWH), il est associé à nul autre que Lui-même. »[39]

 Si personne, si ce n’est Dieu, ne peut être porteur de ce Nom[40] et que le Messie le porte, cela ne nous laisse que peu d’options quant à l’identité du Messie.

Il est à noter que les rabbins affirment que le Messie s’appelle YHWH malgré les risques qu’ils encourent comme l’écrit Simeon ben Yohai : « Quiconque associe le Nom céleste à quelque chose d’autre est entièrement détruit, car il est écrit : « Celui qui sacrifie à tout dieu, sauf au Seigneur seul, doit être complètement détruit » (Exode 22:19) »[41]. Il apparait alors clairement que pour ces rabbins le Messie n’est pas « quelque chose d’autre » que Dieu. Il est Dieu.

C’est ainsi que Simeon Ben Yohai, en commentant le Zohar dit : « Il existe un homme parfait, qui est un Messager. Ce Messager est le Metatrôn, le Gardien d’Israël; Il est à l’Image du Saint, béni soit-Il, qui est une émanation de Lui. Oui, il est YHWH; de lui on ne peut pas dire qu’il est créé, ni formé, ni fait; mais il est une émanation de Dieu. Cela s’accorde avec ce qui est dit par Jérémie. (…) Il est « YHWH notre Justice ». (Jérémie 23:5-6)  »[42]

Un juif Alexandrin nommé Ezéchiel le Tragique[43] affirme qu’il y a une deuxième figure divine sur le trône de Dieu.[44]

Dans le livre d’Enoch[45], le Messie est décrit comme pré-existant et adoré par l’humanité[46]. Dans le même livre aux chapitres 70-71, le Messie est expressément identifié comme Dieu et « non compté parmi eux (les humains) ».

Dans le livre 4 Esdras[47], il est fait mention d’un homme divin qui combat les armées mauvaises à la fin des temps et est présenté comme recevant des offrandes de la part des croyants[48]. 4 Esdras énonce cela au sujet d’Esaie 66:20, qui dit pourtant que les offrandes seront apportées à Dieu. Ainsi cette figure est bien considérée comme divine, comme Dieu.

Une tradition préservée dans le Midrash Mekhilita[49] rapporte une ancienne vue juive au sujet de Dieu le considérant comme multi-personnel selon plusieurs textes de l’Ancien Testament[50].

Le livre juif appelé Apocalypse d’Abraham[51] présente une figure nommée Yahoel comme un second pouvoir céleste qui a le nom de Dieu en lui[52]. Avoir le nom de Dieu en soi signifie avoir l’essence divine (comparer avec Ex 23:21).

Dans une portion du livre la Prière de Joseph[53], l’ange Uriel mentionne un second Yahweh pré-existant appelé aussi Ange de l’Éternel qui apparaissait aux hommes dans l’Ancien Testament.

C’est dans ce contexte religieux que le Christianisme est apparu et c’est pour cela que les premiers chrétiens ont identifié Jésus comme étant ce deuxième qui est Yahweh (Jn 1 : 1 à 3 et 10 ; Col 1 : 15 à 17, Hb 1 : 8 et 10 à 12).

De plus, le livre juif pré-chrétien de Baruch[54] contient une formule trinitaire : « J’attends de l’Eternel votre délivrance, et la joie me vient de la part du Saint pour la miséricorde que vous enverra bientôt votre Sauveur éternel. »[55]

De même, le livre d’Enoch contient une formule trinitaire[56] en mentionnant l’Éternel et son Esprit étant répandu sur l’Élu qui est le Fils de l’homme pré-existant défini ailleurs dans le livre[57].

 Joseph et Aseneth[58] dit qu’il y a Dieu le Père, que Jospeh représente le Fils de Dieu[59], et que quand Joseph embrasse Aseneth il envoie sur elle l’Esprit de vérité[60].

 

En regardant les sources juives ainsi que leurs analyses faites par des spécialistes et docteurs tant Juifs que Chrétiens, une conclusion s’impose : la notion d’un Dieu multi-personnel n’est pas une idée inventée par les chrétiens ni volée aux païens.

Ce sont les juifs qui ont formulé précisément la doctrine trinitaire en ayant une longue tradition reconnaissant un Ange/Parole/Fils/Sagesse et un Esprit, tous les deux identiquement appelés, avec Dieu le Père, Yahweh et accomplissant des œuvres divines. Leur relation avec le Père étant décrit comme « procédant de » Lui ou « émanant de » Lui. Ainsi, sans confesser explicitement la Trinité, ils allaient dans le sens de celle-ci, la formulant timidement.

Une formulation imprécise qui essaye de rendre cohérentes les données de l’Ancien Testament. L’éclairage du Nouveau Testament permettra aux Chrétiens de confesser avec une précision admirable ces vérités. Et c’est en réaction aux chrétiens que les Juifs ont changé leurs interprétations, progressivement, tout au long du Moyen-Âge, comme en témoignent les pères de l’Église comme Justin Martyr, contemporain des premiers changements d’interprétation.

 

Sources

Inspiring Philosophy

Reformed Apologetics Ministries

Le Messie est Yahvé à la lumière des midrashim – Fidelis Verax

http://podcast.foundjs.org/the-bodies…

The Bodies of God and the World of Ancient Israel – Dr. Benjamin Sommer

http://www.biblestudying.net/trinity9…

Genesis, The JPS Torah Commentary – Nahum Sarna

Answering Jewish Objections to Jesus – Dr. Michael Brown

The Works of Philo – Translated by C. D. Yonge

 

Bibliographie succincte :

Le Messie est Yahvé : Exode 17,5 contre Jérémie 23,6 – Fidelis Verax

Sefaria, une bibliothèque en ligne des écrits juifs

Dr. Michael Heiser – Two Powers of the Godhead

Dr. Michael Heiser – The Jewish Trinity

Michael S. Heiser, Two Powers in Heaven.

Dr. Nabeel Qureshi – The Trinity is One God and is Jewish

Trinity Apologetics – Trinitarian Jews ?

D’autres citations trinitaires chez les anciens juifs

Alan F. Segal, Two Powers in Heaven, Brill Academic, 2002, p.54


Notes

[1] 38b.

[2] Le Métatrôn est un titre du messager le plus élevé de Dieu, celui que l’Ancien Testament appelle « Ange de l’Éternel ».

[3] Ce n’est pas parce que le titre d’ange lui est donné qu’il est considéré comme un être créé. Le mot Klm Mlak en hébreu que nous traduisons par Ange signifie « simplement » Messager ou Représentant.

[4] Targoum (traduction) occidental de la Torah, connu à l’époque médiévale sous le titre Targoum Yerushalmi (« Targoum de Jérusalem »), mais en raison d’une erreur d’imprimeur, il fut plus tard renommé Targoum Jonathan en référence à Jonathan ben Uzziel. Certaines éditions du Pentateuque continuent de l’appeler ainsi. Au 21ème siècle, des chercheurs le nomment également Yerushalmi I pour le distinguer d’un autre Targoum palestinien, dont on ne connaît que des fragments (Yerushalmi II).

[5] Lamentations Rabba est un midrash (méthode herméneutique d’exégèse biblique opérant principalement par comparaison entre différents passages bibliques et par métonymie, la littérature recueillant ces commentaires) sur le Livre des Lamentations de Jérémie écrit entre le 5ème et le 7ème siècle après Jésus-Christ.

[6] Lamentations Rabba 3:60,9.

[7] Lévitique Rabba 6:1.

[8] Par exemple Genèse Rabba 84:11; Cantique des cantiques Rabba 8:16, Lamentations Rabba 1:48.

[9] Philosophe juif hellénisé né à Alexandrie vers 20 av. J.-C., mort vers 45 apr. J.-C était contemporain des débuts de l’ère chrétienne. Il vécut à Alexandrie, qui était alors le grand centre intellectuel de la Méditerranée, avec une forte communauté juive dont Philon était un des représentants auprès des autorités romaines. Son œuvre abondante est principalement apologétique.

[10] Philon d’Alexandrie, Les sacrifices d’Abel et de Cain, 8

[11] Sur les Rêves, Livre I, 37.215

[12] Questions et Réponses sur Genèse, 4.110

[13] Sur la Fuite et les Trouvaille, 10.108-109

[14] Sur la Création 40.139

[15] Philon d’Alexandrie, Sur la Confusion des Langues, 14.62-63

[16] Philon, Som. I 234-237

[17] Sur les Géants, chapitre 11

[18] Les Lois spéciales, I, 54

[19] Sur les Vertus, 39

[20] Les Lois spéciales, I, 48

[21] Sur la Création, 134

[22] Sur Abraham 199-122

[23] Daniel Boyarin, The Jewish Gospels, The New Press, 2012.

[24] Le Sepher ha-Zohar (Livre de la Splendeur), aussi appelé Zohar, est l’œuvre maîtresse de la Kabbale, rédigée en araméen. La paternité en est discutée : il est traditionnellement attribué à Rabbi Shimon bar Yohaï, Tana du 2ème siècle. La recherche académique suggère aujourd’hui qu’il pourrait également avoir été rédigé par Moïse de León ou par son entourage entre 1270 et 1280, en compilant une tradition orale.

[25] Zohar 93b-94a.

[26] Midrash Rabba sur les Lamentations, chapitre 1, verset 16.

[27] Talmud de Babylone, Baba Bathra75b

[28] Pirqei Mashiah, Midrashei Geoula

[29] Traditionnellement référé dans les cercles juifs sous l’acronyme de Maharsha (pour Morenou Harav Rabbi Shmouel Eidels, « Notre maître et rabbin, Rabbi Shmouel Eidels ») est un talmudiste galicien des 16ème et 17ème siècles, auteur d’un commentaire classique sur les portions législatives et narratives du Talmud de Babylone ainsi que sur leurs commentaires par Rachi et les Tossafistes (rabbins médiévaux du 11ème au 14ème siècles, localisés pour la plupart dans le centre historique du judaïsme ashkénaze, en France et en Allemagne).

[30] Commentaires sur le traité Nédarim 39b

[31] Un chercheur sur le judaïsme né le 26 mai 1912 et mort le 3 juillet 1991

[32] Justin de Naplouse ou Justin de Néapolis, né vers le début du 2ème siècle et exécuté à Rome vers 165, est un apologète et philosophe chrétien, auteur d’une œuvre rédigée en langue grecque, en grande partie perdue, à l’exception de deux Apologies et d’un Dialogue avec Tryphon, considérés comme des premiers jalons dans la séparation entre le christianisme et le judaïsme.

[33] Les sage d’Israël, p 985

[34] Rabbin séfarade du 12ème siècle (1138 – 1204), considéré comme l’une des plus éminentes autorités rabbiniques du Moyen Âge.

[35] Maïmonide, Le Guide des égarés, p. 296-297

[36] Maïmonide, Le Guide des égarés, chapitre 61

[37] Un rabbin, grammairien, lexicographe, exégète biblique, philosophe et polémiste provençal des 12ème et 13ème siècles. Il est considéré comme le membre le plus éminent de la famille Kimhi, et les générations ultérieures lui ont appliqué la maxime des Pirke Avot « sans farine (qemah, dont est dérivé le patronyme des Kimhi), pas de Torah. » Son influence s’étendra également aux cercles chrétiens, et à ceux de la Réforme protestante en particulier.

[38] David Kimhi, Commentaire sur les prophéties de Zacharie

[39] David Kimhi, Commentaire sur Osée.

[40] « Quiconque associe le nom de Dieu à quelque chose d’autre est retranché de ce monde » Sukkah 45b

[41] Sanhédrin 63a

[42] Rabbi Simeon ben Yohai. The Propositions of the Zohar. cap. 38, Amsterdam edition.

[43] Auteur juif ayant vécu autour du 2ème siècle av. J.-C. Il a écrit une tragédie en grec intitulée Ἐξαγωγή (Exagogé). C’est le seul de ses ouvrages qui a été conservé. Le thème de cette pièce est l’exode des Hébreux hors d’Égypte sous la conduite de Moïse.

[44] Howard Jacobson, The Exagoge oh Ezekiel, Cambridge University Press, 1983, p.55

[45] « Le livre apocryphe d’Enoch (commentaires) » : https://wp.me/p8REsR-hH

[46] I Enoch, 48, 3-5

[47] Le quatrième Livre d’Esdras ou Apocalypse d’Esdras est un livre biblique pseudépigraphe attribué au scribe israélite Esdras et écrit au 1er siècle.

[48] 4 Esdras 13, 2-13

[49] La Mekhilta de Rabbi Shimon bar Yohaï est un Midrash halakha sur le Livre de l’Exode, nommé d’après Rabbi Shimon bar Yohaï, le premier Sage à y être mentionné.

[50] Bahodesh, 5, Shirta 4

[51] Pseudépigraphe de l’Ancien Testament constitué de deux parties distinctes : la première est du genre midrashique, la seconde est du genre apocalyptique. Le texte est conservé en slave et en roumain, traduit vraisemblablement d’une version grecque faite sur un texte sémitique d’origine juive. L’original aurait été composé dans la mouvance de l’essénisme.

[52] Apocalypse d’Abraham, 10

[53] Pseudépigraphique de l’Ancien Testament, composé en araméen ou en grec au 1er siècle de notre ère

[54] Bien qu’absent de la Bible hébraïque, on le retrouve en grec dans la Septante et dans la version de Théodotion, ainsi que dans la Vulgate latine. Les spécialistes suggèrent qu’il fut écrit peu de temps après la période des Maccabées. Dans la Vulgate, la Bible du roi Jacques, ainsi que dans de nombreuses autres versions, l’épître de Jérémie est présentée en annexe du livre de Baruch, en tant que sixième chapitre. Il comporte des prophéties, publiées à Babylone, dans lesquelles on trouve une éloquence qui enthousiasmait La Fontaine. Les Juifs et les Protestants ne reconnaissent pas sa canonicité.

[55] 1 Baruch 4.22

[56] Livre d’Enoch 62:1-2

[57] Livre d’Enoch, 48, 3-5; 70-71

[58] Récit datant de 200 avant notre ère à 200 de notre ère. Il relate le mariage et les enfants du patriarche israélite Joseph et de son épouse égyptienne Asenath.

[59] 6.2,6; 14.9

[60] 19.11