Quand la foi devient philosophie

Timothée Richard était un jeune baptiste gallois, compétent et à la forte personnalité. Il avait d’abord voulu se mettre au service de la CIM[1], mais on lui avait conseillé de travailler avec la Société Mission­naire Baptiste. il était arrivé en Chine en 1870, âgé de 25 ans. D’emblée, Richard se mit à attacher une grande importance à l’établissement du royaume de Dieu sur la terre, et à protéger le pauvre et le malheureux d’une exploitation tyrannique.

 

Etabli dans la province du nord de Shantung[2], il avait été très touché par la grande famine qui avait sévi durant les années 1877-79, tout particulièrement dans le Shanxi[3]. Il aspirait de tout son cœur à voir la Chine transformée par l’adoption de ce qu’il y avait de meilleur en Occident, notamment les techniques, de telle sorte que pareil désastre ne puisse plus jamais se reproduire.

 

Malheureusement, Richard prétendait que Dieu agissait au travers des autres religions comme le confucia­nisme, le bouddhisme et le taoïsme[4]. Si on pouvait souligner les aspects de ces religions qui étaient en accord avec le christianisme, leurs adeptes seraient facilement amenés à la foi en Christ, et avec le temps, toute la Chine connaîtrait une profonde transformation chrétienne. Il ne tarissait pas d’éloges sur le bon côté de la civilisation chinoise, et consacra beaucoup de temps à étudier les classiques chinois et les écrits sacrés. Il s’efforça d’atteindre l’élite intellectuelle et usa plus tard de son influence pour fonder dans le Shanxi une université où les idées occidentales allaient être enseignées parallè­lement à l’histoire et à la culture chinoises.

 

Hudson Taylor estimait que sa théorie menait à la mort, car Richard était réfractaire à la prédication de la grâce, préférant, pour préparer le chemin de l’Evangile, distribuer des traités moraux parlant de Dieu mais non de Christ.

 

Mais Timothée Richard savait se montrer persuasif, et il com­mença à gagner à ses idées certains membres de la CIM, notamment ceux qui vivaient dans la province de Shanxi. L’expression « l’esprit de Shanxi » servit à désigner la diminution de la ferveur évangélique consécutive à l’enseignement de Richard. La foi d’un des membres de la CIM fut ébranlée au point que le missionnaire dut être rapatrié. Un autre envisagea de quitter la CIM pour se mettre au service d’une société missionnaire qui assurait à ses ouvriers un salaire régulier. A la suite des doctrines propagées par Richard, trois ou quatre missionnaires quittèrent la CIM, bien que quelques-uns revinrent plus tard à leurs convictions premières. Richard lui-même, devenu de plus en plus libéral dans son enseignement, démissionna de la Société Missionnaire Baptiste, mais continua à travailler en Chine durant près de cinquante ans.


Notes :

[1] Acronyme de l’anglais pour la Mission de l’Intérieur de la Chine qui est une société de missions en Chine, fondée par Hudson Taylor le 25 juin 1865 à Brighton.

[2] Shantung est une province du nord est de la Chine. Elle est située au nord de la province de Shanghai.

[3] Le Shanxi est une province du nord-est de la Chine, à l’ouest de la province de Shantung. Elle est surtout de religion bouddhique (Les grottes bouddhiques de Yungang shiku qui sont dans cette province contiennent les plus anciennes sculptures de Chine).

[4] Le taoïsme (« enseignement de la Voie ») est à la fois une philosophie et une religion chinoise. Plongeant ses racines dans la culture ancienne, ce courant se fonde sur des textes, dont le Dao De Jing (tao te ting) de Lao Zi (Lao-tseu), et s’exprime par des pratiques qui influencèrent tout l’Extrême-Orient. Il apporte entre autres : 1°) une mystique quiétiste, reprise par le bouddhisme Chan (ancêtre du zen japonais) ; 2°) une éthique libertaire qui inspira notamment la littérature ; 3°) un sens des équilibres yin yang poursuivi par la médecine chinoise et le développement personnel ; 4°) un naturalisme visible dans la calligraphie et l’art.

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