La Bible de William Tyndale ou la Bible de Matthieu

« Je défie le pape et toutes ses lois, et si Dieu me prête vie, je ferai qu’en Angleterre le garçon qui pousse la charrue connaisse l’Écriture mieux que le pape lui-même ». Ainsi s’exprimait William Tyndale[1] à Cambridge en 1522. Et il tint parole. Brillant érudit, il parlait l’hébreu, le grec, le latin, l’espagnol et le français, « si bien que chacune de ces langues aurait pu être sa langue maternelle ». Tyndale avait rencontré Érasme et découvert son Nouveau Testament grec-latin et s’était mis à le traduire en anglais. Dans un premier temps, il rechercha la protection de Tunstall, évêque de Londres, mais lorsque ce dernier apprit ses intentions, il lui refusa l’accès à son palais.

 

En 1524, Tyndale quitte sa patrie qu’il ne reverra plus. Il achève sa traduction à Hambourg et la remet à un imprimeur. Des ouvriers trop bavard en informent le prêtre Cochlaeus, qui s’apprête à mettre la main sur l’édition. Tyndale se précipite à l’atelier, saisit ses précieux manuscrits et les emporte à Worms. Son Nouveau Testament y paraîtra en 1525.

 

Cochlaeus alerte cependant l’évêque de Londres. Tyndale sait donc que les précieux volumes seront saisis à leur arrivée en Angleterre. Pour déjouer l’étroite surveillance qui s’exerce dans les ports, les Nouveaux Testaments sont cachés dans des ballots d’étoffe ou des barils de vin. Beaucoup d’exemplaires sont néanmoins confisqués. Leurs destinataires sont astreints à défiler à cheval, le visage tourné vers la queue de l’animal, et portant visiblement le livre défendu; ils devront le jeter eux-mêmes au feu devant tous, et faire pénitence. Mais les efforts de l’évêque de Londres sont voués à l’échec. Chaque londonien veut prendre connaissance de l’ouvrage proscrit et s’ingénie à l’obtenir au mépris des menaces. En désespoir de cause, l’évêque de Londres prie Packington, un négociant de la cité, de mettre à profit ses relations commerciales avec le port d’Anvers, pour accaparer à la source toute l’édition de Tyndale. Muni d’une forte somme d’argent, Packington se rend sur le continent. L’évêque a cru « mener Dieu par le bout du doigt », écrit un chroniqueur de l’époque. Mais il ne réussira pas mieux dans cette entreprise que dans les précédentes. Packington, ami secret de Tyndale, arrive chez le traducteur :

 

– « Monsieur Tyndale, je vous ai trouvé un bon acquéreur pour vos livres,

– Et qui donc ?

– L’évêque de Londres !

– Mais, si l’évêque veut ces livres, ce ne peut être que pour les brûler !

– Eh bien qu’importe ! D’une manière ou d’une autre l’évêque les brûlera. Il vaut mieux qu’ils vous soient payés; cela vous permettra d’en imprimer d’autres à leur place ! »

 

Le marché est conclu et l’édition est apportée en Angleterre. L’évêque de Londres convoque la population devant la cathédrale Saint-Paul pour assister à la destruction massive des livres hérétiques. Cependant, le bûcher de l’évêque devient une publicité inespérée pour la deuxième édition du Nouveau Testament Tyndale. Imprimé cette fois en petit format, pour faciliter la dissimulation des volumes et mieux échapper aux perquisitions, sa diffusion est un vif succès.

 

Pourtant les adversaires de la Bible ne désarment pas. Ils tendent un piège à Tyndale. Trop confiant, le traducteur accepte une invitation à un repas chez de prétendus amis; on met la main sur lui et on l’enferme au château de Vilvoorde (Belgique). Dans son cachot, le réformateur, ayant obtenu Bible, grammaire et dictionnaire hébreu, traduisit, vingt siècles après, un texte qui fit d’innombrables croyants dans les pays anglo-saxons : les Épîtres de Paul.

 

Condamné par Charles Quint, Tyndale fut étranglé et brûlé le 6 octobre 1536. Avant de subir le supplice, il cria d’une voix puissante: « Seigneur, daigne ouvrir les yeux du roi d’Angleterre ! ».

 

Cette ultime requête sera exaucée deux ans plus tard. Recueillant sa traduction faite en prison, les amis de Tyndale la complètent et la font imprimer. Il aurait été beaucoup trop dangereux d’indiquer le nom du traducteur sur la page de garde; aussi cette édition est-elle désignée comme la « Bible de Matthieu » (Matthew’s Bible), selon le prénom de l’imprimeur.

 

En 1538, un exemplaire de cette édition est remis au roi Henri VIII. Bouleversé par la beauté du texte et la profondeur de son message, le monarque qui s’est distingué par ses actes d’indépendance à l’égard du pape, passe outre une nouvelle fois les interdictions ecclésiastiques et décrète que cette Bible doit être lue « dans toutes les paroisses d’Angleterre ».


Note :

[1] Voir « La vie de William Tyndale »

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