Le dernier Noël de Anna

Suzanne est une belle fillette de douze ans, très développée pour son âge et remarquablement douée. Elle est l’aînée d’une fa­mille de trois enfants et habite, avec ses parents, un bel appar­tement, dans un quartier central de Paris.

 

Nous voici à la veille de Noël et les enfants qui sont en vacances bavardent à qui mieux mieux à la table du petit déjeuner.

 

Le facteur a apporté un livre, à l’adresse de Suzanne, qui est bientôt profondément absorbée, tournant l’une après l’autre les pages bien illustrées. Puis, tout à coup, se tournant vers sa mère:

— Maman, tu vas lever ma puni­tion, dis?

— Quelle punition?

— Mais tu sais bien, tu as dit que je n’irais pas à l’arbre de Noël !

— Oui, je me souviens mainte­nant. Eh! bien non, ma fille, ta punition ne sera pas levée du tout. Tu te plains toujours que ces arbres de Noël sont assom­mants, qu’on s’y ennuie, que c’est tous les ans la même cho­se, etc. … donc, je t’ai prise au mot.

 

Suzanne baissa la tête et garda le silence, car elle savait bien que les décisions de Maman étaient immuables. Quand elle avait dit: Non, c’était non! Il n’y avait rien à faire.

 

Pauvre Suzanne! Elle aurait pu être si heureuse et faire le bon­heur des siens si ce n’eût été son terrible orgueil!

 

Elle avait tellement conscience d’elle-même, de sa beauté, de sa brillante intelligence qui lui atti­rait toujours les compliments de ses professeurs et l’admiration parfois un peu mêlée de jalousie de ses compagnes de classe.

 

Elle travaillait avec un zèle in­lassable, mais non pas pour plai­re à ses parents, ni encore moins au Seigneur Jésus, auquel elle ne pensait guère, mais unique­ment pour satisfaire ses ambi­tions et obtenir les plus beaux prix à la fin de l’année.

 

Quant à ses deux mignonnes pe­tites sœurs, elle ne s’en souciait pas le moins du monde, de sorte qu’elles ne la recherchaient pas non plus, préférant aller vers leur maman dans leurs petits cha­grins comme dans leurs joies en­fantines.

 

Les parents de Suzanne se ren­daient bien compte du péril pour leur enfant et l’entouraient de leurs prières constantes, comp­tant sur le Seigneur pour lui ré­véler son état de péché.

 

Tout le monde est parti pour l’arbre de Noël, même la bonne qui, jeune encore, n’est nulle­ment blasée de ces sortes de choses.

 

Restée toute seule dans l’appar­tement, Suzanne tâche de chas­ser les idées sombres qui, com­me autant de petits papillons noirs, tournent et retournent dans sa tête.

 

S’installant alors dans un bon fauteuil, à côté d’une élégante lampe portative, elle essaie de s’absorber dans son beau livre, reçu le matin même, afin d’ou­blier ses ennuis.

 

Au bout d’un moment, voilà qu’un coup de sonnette la fait tressaillir. Qui donc peut bien venir les déranger la veille de Noël ?

 

Elle pourrait bien ne pas répon­dre, car ne devait-elle pas être sortie à cette heure-ci avec tou­te la famille? Pourtant, la curio­sité l’emportant sur la paresse, elle se décida, au second coup, à aller ouvrir la porte.

 

Une femme vêtue de noir, la fi­gure pâle et triste, se présenta alors, et elle reconnut immédia­tement leur voisine, Mme Pinnel, que sa mère visitait souvent pour lui faire du bien. Refusant résolument d’entrer, Mme Pinnel expliqua qu’elle devait s’absen­ter un moment pour aller rap­porter son ouvrage et avait es­péré que Mme D. voudrait bien tenir compagnie à sa fille, bien malade.

 

Suzanne connaissait bien la pe­tite Anna qui était venue tant de fois avec sa mère quand Mme D. l’employait pour des journées de couture. Mais, bien que son aînée d’un an seulement, Suzan­ne se considérait comme telle­ment supérieure à cette pauvre petite si ignorante, qu’elle ne lui adressait presque jamais la pa­role et la laissait entièrement à ses jeux puérils, en compagnie de ses petites sœurs.

 

Or, depuis plusieurs mois, Anna était alitée, gravement atteinte de la poitrine. Sa pauvre mère, veuve et sans ressources, devait travailler nuit et jour à l’aiguille pour pourvoir aux frais écrasants des remèdes, venant s’ajouter à leur entretien.

 

La maman d’Anna était conster­née de ne pas trouver son amie et protectrice sur qui elle avait compté pour venir au chevet de sa chère enfant, pendant ces longs moments de solitude. Voyant son expression de si pro­fond désappointement, Suzanne eut un bon mouvement et décida spontanément de se rendre elle-même auprès d’Anna.

 

Mme Pinnel la remercia avec ef­fusion de sa complaisance et, son gros paquet sous le bras, se hâta de redescendre les éta­ges pour se rendre à son atelier aussi vite que ses pauvres jam­bes pouvaient la porter.

 

Suzanne, tout en s’habillant pour sortir, se demandait pourquoi el­le avait été poussée à prendre cette brusque décision. Plus tard, elle comprit que Dieu incli­ne les cœurs des hommes (et même des petites filles parfois) «comme des ruisseaux d’eau», selon Sa Parole.

 

Au moment de quitter le salon, elle aperçut le joli bouquet de violettes, et pensant qu’il ferait plaisir à la petite malade, elle l’enveloppa soigneusement et l’emporta.

 

Après avoir gravi quatre à quatre les six étages de la maison voi­sine, elle s’arrêta un instant pour reprendre haleine puis frappa un petit coup timide à la porte.

 

Une voix faible répondit: « En­trez ! ».

 

En s’approchant du lit où repo­sait la malade, Suzanne fut frap­pée de la voir si changée, depuis qu’elle ne l’avait pas vue. Ses joues étaient creuses, ses yeux brillants de fièvre, ses longues mains amaigries reposaient sur les pages de sa vieille Bible, ou­verte sur son lit.

 

En voyant Suzanne, au lieu de sa mère, la pauvre petite fut plu­tôt déçue, mais surmontant bien vite ce sentiment, elle la remer­cia d’être venue et fut ravie du joli bouquet. Puis, la conversation s’engagea entre nos deux fillettes.

— J’espère que tu vas aller mieux et que tu pourras bientôt te lever.

— Oh! je sais bien que je n’irai jamais mieux; je vais bientôt partir.

— Partir où? Qu’est-ce que tu veux dire?

— Mais là-haut, près de Jésus

 

Il m’appelle et … je suis si heu­reuse ! Je L’aime tant, le Seigneur Jésus! … Est-ce que tu L’aimes aussi ?

 

Suzanne fit un signe affirmatif, et pour cacher son trouble propo­sa de mettre les violettes dans l’eau. Anna continua d’une voix entre­coupée par les accès de toux:

— L’année dernière, ta maman m’avait invitée à l’arbre de Noël, mais j’étais trop enrhumée … je n’ai pas pu y aller … Je n’en ai jamais vu, moi, d’arbre de Noël ça doit être bien joli! … Mais là-haut, je verrai des choses bien plus belles encore !

 

Ici, l’enfant fut Interrompue par une violente quinte qui la laissa toute épuisée et haletante. Su­zanne était de plus en plus trou­blée et ne voulait à aucun prix laisser deviner l’émotion étran­ge qui l’étreignait en présence de cette âme au seuil de l’éter­nité.

 

Courant à la cuisine, elle décou­vrit une petite casserole contenant de l’infusion et crut bien faire d’en donner quelques cuil­lerées à Anna qui la remercia d’un gracieux sourire. Après avoir un peu repris haleine, elle continua la conversation.

 

— Je l’aime bien, ta maman C’est elle qui m’a appris à con­naître Jésus … depuis que je L’ai reçu dans mon cœur… je n’ai plus du tout peur de mourir. Avant j’avais bien peur

— Mais tu ne devrais pas penser à la mort, Anna, tu es encore si jeune! Et que deviendrait ta pau­vre maman?

 

Ici, un léger nuage passa sur le visage de l’enfant et d’une voix faible, elle murmura.

— Je crois que maman viendra bientôt me rejoindre.

 

Sur ces entrefaites, la nuit était venue et Suzanne proposa d’al­lumer la lampe, quand des pas se firent entendre dans l’esca­lier. Un instant après, Mme Pin­nel entrait, tout essoufflée, tant elle s’était dépêchée.

 

Tandis qu’elle s’empressait au­tour de sa chère malade pour lui faire prendre le sirop qu’elle ve­nait de rapporter, Suzanne, pres­sée de fuir cette atmosphère qui lui causait un malaise croissant, enfilait son manteau sans per­dre un instant. Puis, tendant la main à la fillette et à sa mère qui se confondit encore en remer­ciements, descendit prestement l’escalier, en se demandant

ce que penserait sa mère de son absence prolongée.

 

Quand elle arriva chez elle, tou­te la famille était de retour et un joyeux brouhaha se faisait en­tendre, les enfants étant au com­ble de la joie de pouvoir s’ébat­tre librement et raconter leurs impressions sur la fête.

 

Courant vers sa mère, elle lui raconta les événements de l’a­près-midi, et fut soulagée de voir l’expression sévère de maman se radoucir immédiatement.

Elle savait bien que maman ne manquerait pas d’approuver sa conduite.

 

Après tout, c’était bien une «bonne oeuvre» qu’elle venait d’accomplir, en allant s’enfer­mer dans cette chambre malsai­ne, près d’une tuberculeuse! Tout le monde n’en ferait pas autant, un jour de fête!

 

Et Suzanne chercha ainsi à se persuader que tout était bien en règle et que le Seigneur devait être bien content d’elle. Pourtant, le malaise intérieur causé par les paroles d’Anna persistait à la hanter. «Je m’en vais près de Jésus … je L’aime tant … est-ce que tu L’aimes aus­si ?».

 

Ces paroles résonnaient tou­jours au fond de son cœur com­me une accusation terrible. Pen­dant toute la soirée, elle ne prê­ta qu’une attention distraite à tout ce qui se passait autour d’elle.

 

Quand enfin elle put se trouver seule, dans sa jolie chambre ro­se, un texte pendu au-dessus de son lit attira son attention (bien qu’il eût été là depuis bien long­temps sans qu’elle l’eût jamais remarqué): «Le Maître est là et Il t’appelle».

 

Elle mit longtemps à s’endormir, ce soir-là, poursuivie par tant de pensées et de désirs contradic­toires. Quand, enfin, le sommeil vint, elle rêva qu’elle contemplait un ciel étoilé d’une splendeur merveilleuse, puis il parut à l’ho­rizon un nuage blanc, lumineux et dans ce nuage apparut le vi­sage d’Anna rayonnant d’une gloire et d’une beauté indescrip­tibles, tandis qu’au loin, un chant céleste se faisait enten­dre.

 

Elle se réveilla en sursaut, le vi­sage inondé de larmes. Oui, elle avait vraiment pleuré, mais quel­le bêtise! … Ce n’était pourtant qu’un rêve!

 

Le jour suivant, toujours tant at­tendu par les enfants, apporta son butin de choses désirables, jouets, bonbons, cadeaux divers. Pour Suzanne, il y avait un al­bum superbe représentant les plus belles scènes de lia vie du Sauveur. Elle le contempla lon­guement avec une expression sérieuse qui ne lui était pas ha­bituelle, puis avec un profond soupir, se tournant vers sa mère:

—  Maman, est-ce que tu me permettrais de le donner à An­na?

— Vraiment, ma fille? Est-ce que ce cadeau ne t’intéresse pas, que tu penses déjà à t’en défai­re?

— Oh! non, Maman, je t’assure ce n’est pas parce que je ne l’aime pas, mais… je pensais que, puisqu’Anna va bientôt mou­rir, peut-être … j’aimerais lui fai­re ce plaisir.

 

Mme D. se douta que quelque chose avait dû se passer entre les deux enfants, mais avec son tact habituel, elle s’abstint de toute question devant les autres membres de la famille.

— Très bien, ma chérie, je compte lui rendre visite cet après-midi. Si tu veux, tu pour­ras m’accompagner et lui offrir toi-même ton cadeau.

 

Quelques heures plus tard, la mère et la fille se rendaient dans l’humble demeure de la coutu­rière qui les reçut avec joie.

 

Pendant que les mamans cau­saient entre elles, Suzanne s’ap­procha du lit de sa nouvelle amie et lui montra le beau livre dont les gravures la remplirent d’ad­miration. Quand enfin elle com­prit qu’il lui était vraiment don­né, une couleur inusitée monta à ses joues pâles et ses yeux se remplirent de larmes. Suzanne était profondément é­mue et, surmontant ses craintes de contagion, elle se pencha vers Anna et l’embrassa au front, tandis que sa mère qui observait de loin cette petite scène, ren­dait grâces à Dieu pour le chan­gement qui s’était opéré dans le cœur de son enfant.

 

Huit jours plus tard, la petite brebis du Bon Berger avait été recueillie dans le Bercail céles­te. Elle était partie sans souf­france et dans la joie parfaite en murmurant: «Seigneur Jésus, je viens … je viens!».

 

Sa mère, humble et soumise, re­mit à Son Père céleste le trésor qu’il lui avait confié avec les pa­roles sublimes de Job: «L’Eter­nel l’a donné, l’Eternel l’a ôté; que le Nom de l’Eternel soit bé­ni!».

 

Une année s’est écoulée et de nouveau, c’est la veille de Noël. Mme D. assise à son bureau, écrit une lettre d’encouragement à son ancienne protégée qui est maintenant bien loin de Paris. Elle a trouvé sa place dans un orphelinat chrétien où, comme lingère bénévole, elle exerce autour d’elle une influence bénie par sa piété sereine et joyeuse, malgré son grand deuil.

 

Suzanne se souvient de cette veille de Noël, mémorable entre toutes, où pour la première fois, Dieu avait parlé à son cœur par le témoignage de son enfant mourante. Aussi, elle se sent poussée à joindre un petit mot à la lettre de Maman:

 

« Chère Madame Pinnel, Je veux vous dire que cette veille de Noël me rappelle ma vi­site de l’an passé à notre chère petite Anna. Je sais que vous serez heureuse de savoir que c’est par son moyen que je suis venue au Seigneur Jésus, moi aussi ! Je suis loin de ressembler à Anna, je suis encore bien mé­chante parfois, mais je sais qu’il m’aime et qu’il m’a pardonné tous mes péchés. Voulez-vous prier aussi pour moi, afin que je sois gardée fidèle et que je puis­se parler de Lui à l’école, car c’est si difficile, vous savez ! Mais je crois qu’il m’aidera. Mes pe­tites sœurs aussi vous envoient leurs amitiés, et moi je vous em­brasse de tout mon cœur.

 

Votre petite sœur en Jésus,

Suzanne »

2 réflexions sur “Le dernier Noël de Anna

  1. Bonjour, je ne sais pas si c’est une histoire vraie mais en tout cas c’est un beau témoignage émouvant. Ou comment le Seigneur sait s’y prendre pour attendrir un coeur dur et l’acquérir à Sa cause.
    Que Dieu vous bénisse.

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